Analyses
et commentaires
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L'analyse de Jean-Pierre Majzer
Jean-Pierre
Malzer, docteur en Langue et Littérature
française, spécialité Poésie, a publié une thèse
sur le poète Jean-Claude Renard dont il est
aujourd'hui le spécialiste reconnu.
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Le commentaire de Charles d'Estève
Charles
d'Estève,
poète, bouilleur de mots, né en Languedoc en
1948, vit depuis 1990 en Vendée à l'affût de
l'être, de la lumière et de l'instant. Il est
devenu jongleur de mots dans les théâtres du
vivant. Il a publié une quinzaine d'ouvrages
dont plusieurs aux Editions Sol'Air.
Analyses
et commentaires
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L'analyse de Jean-Pierre Majzer:
Histoire
d'une rencontre et d'une préface. Entre Gérard
Glameau et moi, il y eut d'abord un signe - un
signe de ponctuation. Je me souviens de cet
entretien téléphonique pour la "mise au point "
d'un remarquable texte en prose intitulé "Fortunes
de mer" évoquant la lente dérive des mots,
leur capture quand ils " s'approchent,
s'accrochent et s'agglutinent ", " beaucoup
mourant sur l'heure " avant d'atteindre leur
lecteur. Gérard Glameau, qui en était l'auteur,
posait de manière originale l'inépuisable
question de notre rapport au langage. C'était
dans le cadre du Concours de poésie organisé par
l'Arée, grâce à Michel et Françoise Fourage que
je salue et que je remercie vivement : sans eux,
la rencontre n'aurait pas eu lieu.
Est-il
nécessaire
de présenter un ouvrage qui se présente tout
seul ? Dans sa préface de Fortunio, Théophile
Gautier notait non sans humour :
" Il est
bien convenu que les lecteurs (pluriel
ambitieux) les passent avec soin, ce qui
paraîtrait une raison valable de n'en pas
écrire. "
J'ai
accepté d'écrire quelques lignes parce que j'ai
vu dans la proposition de Gérard un signe
d'amitié et comme un besoin d'être rassuré. En
effet, pris au sérieux, l'acte d'écrire est
exigeant. D'ailleurs, l'écriture poétique
moderne, qui rend compte d'une expérience
toujours singulière, résonne le plus souvent
comme un appel. Comme si elle ne cessait
d'explorer les voies ouvertes par la
proclamation de Hugo : " Insensé qui crois que
je ne suis pas toi " et celle de Rimbaud,
si souvent citée : " Je est un Autre " . Le
poète ne peut pas rester seul. Il se confie, il
convie dans l'attente d'un écho. Nous avons la
chance de compter parmi ses premiers invités.
Le
regard du poète et du peintre. Comme Joëlle
Pérocheau - artiste peintre de talent auquel il
prête ses mots - Gérard Glameau nous offre ses
tableaux. Il varie les points de vue, cadre, et
choisit ses couleurs :
"Arrière-Saison"
" Quand
arrive l'automne et que l'onde pleure son
bleu, la station ferme ses yeux et ça pour de
longs mois. Volets clos rideaux tirés disent à
tous les obstinés qu'il n'y a plus rien à voir
et qu'il faut s'en aller. " (12).
"Aurore
rouge"
" Dès
l'aube, le ciel déroule une Sardaigne
suspendue à la Corse, et un peu plus loin
voilà la Crête, toutes se pressent vers
l'orient où s'annonce un grand feu. Dès les
premières lueurs, le bleu de l'océan se strie
de quelques rides et telle une flèche, la
trace grise d'un avion déclenche un éclair
rouge, brasier de l'affrontement. Lueur
éphémère qui s'efface devant la grisaille
d'après bataille. Fumées qui embrument,
éclaboussent, aspergent et obligent aux abris.
Des soldats fiers d'aller au combat, qui
inévitablement reviennent en pleurant. " (37).
Comment
" [�] du jour qui point apprécier les couleurs
? " (81).
"Le
bricoleur"
"
Ce matin il habitait une maison jaune et ce
soir, sous la baguette magique d'un pot de
peinture, il entrera dans une maison blanche
où les volets verts sont devenus bleus. Mais
il dînera à la même table, dormira cette nuit
dans le même lit à côté de la même femme. Un
dépaysement apparent en quelque sorte. [�] "
(69).
Parmi
les rares couleurs du poète, le blanc l'emporte,
probablement parce qu'il est la lumière dont "Le
vieil arbre " étincelle - l'arbre de
vie, l'arbre de la création auquel le poète
s'identifie (11). " La praticienne ", elle
aussi, a les " cheveux blancs " (74).
Quant aux portraits, celui du " pilote
de litres [�] qui ne regrette aucune bouteille " (78),
celui de " la marchande de pain [qui] aime les
poètes " (80), ou celui du " boulimique " (81)
ce sont des peintures de caractères qui
suscitent la réflexion et appellent à la
sagesse.
Parmi
les auteurs de poèmes en prose, nombreux sont
ceux qui se sont référés aux arts graphiques,
certains y trouvant leur source d'inspiration,
comme Huysmans, d'autres préférant présenter ou
accompagner des reproductions de tableaux. On
peut penser à Michaux, à Ponge ou à Breton, qui
méritait bien le bel hommage de Valéry : " C'est à
vous de parler, jeune voyant des choses ". Mais,
en tant que tel, le poème en prose n'est-il pas,
parfois, une sorte d'équivalent verbal d'une
composition plastique ? Une transposition d'art
? Théophile Gautier présente ses poèmes en
soulignant que " chacun d'eux a été traité à la
manière de petits paysages flamands ". Heredia,
dans "Les Trophées", privilégie les formes fixes
de la poésie versifiée (tel le sonnet) pour
cadrer l'objet d'art. Char fut l'ami de Braque,
Miro, Giacometti, Picasso. Il a préfacé des
catalogues d'exposition comme celle de Picasso à
Avignon en 1963.
Rapprochements
et
résonances. Ces formes denses de Gérard Glameau
(on en trouverait de comparables chez Breton qui
parle de " l'extrême raccourci "), ne font-elles
pas écho à celles de René Char qui, dans
Feuillets d'Hypnos, note : " J'écris
brièvement. Je ne puis guère m'absenter
longtemps. " ? C'est à coups de marteau ("Le
Marteau sans maître") que René Char prétend
écrire et se construire, du moins au cours de sa
période surréaliste. De la même manière, c'est "
à
petits coups de mots ", nous dit Gérard
Glameau, que " le sculpteur burine la vie de
l'autre, peu à peu lui donne forme, parfois
avec bonheur celle que le modèle attend "
("Vision", 114). Monolithique, sa prose poétique
ne dessine rien sur le blanc de la page. Ses
tableaux ne sont pas des calligrammes. La
matière verbale ne se modèle pas de l'extérieur
: elle se travaille de l'intérieur pour donner
forme et vie à ces " fragments de réel " qui
construisent le monde ("Jeux de planches", 51).
Ce sont "pierres de langue" apparemment
semblables mais minutieusement travaillées, dont
l'étincelle pareille à celle des silex éclaire
des rencontres furtives mais décisives - autant
d'images d'une réalité multiple dont l'unité
nous échappe. Mais, chez Gérard Glameau, la
recherche de l'esthétique épouse celle de
l'éthique et échappe à la tentation de l'art
pour l'art que redoutait Max Jacob dans sa
Préface au Cornet à dé :
" Une
page en prose n'est pas un poème en prose,
quand bien même elle encadrerait deux ou trois
trouvailles. [�]. A ce propos, je mets en
garde les auteurs de poème en prose contre les
pierres précieuses trop brillantes qui tirent
l'�il aux dépens de l'ensemble. "
Gérard
Glameau partage cette exigence. Son attention
portée à l'humain, sa proximité avec la nature
"travaillent" son écriture. Il m'a confié
reprendre ses ébauches écrites à la main,
cherchant l'expression juste. Il rejoint en cela
les vrais ouvriers des mots confrontés au défi
défini par Eluard dans "Les Sentiers et les
Routes de la poésie" (1952) : " Il nous faut peu
de mots pour exprimer l'essentiel, il nous faut
tous les mots pour le rendre réel ".
Des
poèmes
en prose musicaux et méditatifs. Comment définir
la forme choisie par Gérard Glameau ? N'est-elle
pas picturale et musicale à la fois ? Saint-John
Perse prétendait écrire des " poèmes non
versifiés " et ajoutait : " Je ne rime pas quand je
ne veux pas rimer. " Qu'advient-il de la
poésie quand elle renonce au " trompe-l'�il "
qu'est le vers ? Il appartiendra toujours à
l'auteur et au lecteur d'en décider. Toujours
est-il que, dans ce recueil, nombreux sont les
signes de poésie qui s'adressent à l'oreille :
" Ton
regard s'est posé comme un archet sur mon âme,
son lent glissement a fait vibrer mes cordes
et peu à peu quelques notes ont surgi,
plusieurs fois répétées. " (16).
" Sur la
grève désertée, les goélands argentés
attendent calmes et sereins du courroux marin
la fin, pour laisser après la brume leurs
empreintes de plumes et aller faire au loin
leurs meilleurs des festins. "
("Arrière-saison", 12).
Le
poète module la taille des groupes syntaxiques
et musicaux. Grâce au déploiement des images,
aux allitérations et aux assonances, aux jeux de
mots, il porte à son maximum la charge
expressive de la parole. Ainsi commence le poème
intitulé "La mère veilleuse" (71) : " Comme
une mer, la mère veille sur son territoire,
entoure de ses bras son archipel d'enfants. " Dans "La
source"(18), " Sous le doigt, la paroi
lisse glisse, tiède du soleil de midi. " Dans "La
comète", " les ballons font des bonds " (21).
Le rythme épouse le libre mouvement des êtres et
des choses depuis leur surgissement jusqu'à leur
impact sur la conscience et le corps tout
entier. " Prendre ta main pour une danse
arrêterait la musique. " (85), nous dit le poète
dont les mots préférés sont le mot " voilà " et le
mot " caresse ". L'un dévoile, l'autre
effleure, suggère un rapprochement et un contact
sans jamais forcer la main.
En
définitive, ce recueil est une méditation, le
fruit d'une expérience philosophique de la vie.
Il nous dit l'urgence de vivre, d'aimer. Alors
pourquoi l'avoir écrit si tard ? Sans doute
fallait-il mûrir avant de produire, vivre avant
d'écrire. "Arrière-Saison", qui promet d'autres
saisons, n'est pas une conclusion : il est
l'étape d'un cheminement, à "Contre-jour" (25),
vers un " paradis blanc tiré du néant,
illuminé comme une fête foraine". Le
poète voit dans la gratuité une "une
matière première dont on fait un commerce " (59).
En quête de tendresse, de " vérité ", et de
bonheur, il nous ouvre sa porte et son coeur. A
nous de lui dire " merci ".
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Le commentaire de Charles d'Estève:
J'ai
lu, deviné, en ses "penchants", cette
arrière-saison où se trâme dans ce qui n'est
déjà plus , la vie à venir - sachant que sa fin
inéluctable rend chaque instant précieux, avec
ce sentiment plus ou moins fondé que cela aurait
pu jusque là mieux ou autrement.
On
va de moments de poésie en réflexion, d'effusion
contenue en désarroi maitrisé à l'affût de soi,
de l'autre pour une vie qui n'aurait pas besoin
de laque et autres adjuvants, qui serait intense
simplement. Pas si simple!
Gérard
Glameau donne vie, d'un texte à l'autre, à des
personnages, des fragments reconnaissables de
nous-mêmes et ce sont autant d eportraits, de
lieux, d'actes de la vie ordinaire qui fusent.
d'une page à l'autre ce sont autant d'îles que,
quelque peu inquiet, il demande à notre regrad d
erassembler, de partager avec lui. Et il y a,
dans cette complicité, comme le besoin d'un lien
affectif avec le lecteur.
On
imagine - et ce serait bien - qu'il fasse se
rencontrer en une "nouvelle" ces êtres pris dans
la galce de leur solitude, de leurs chimères, et
dans la chair de leur unvivers familier. Ils
déclinent déjà si bien les circonstances, les
aléas de la vie, entre interrogation et
faux-pas, esquissant des "notes de vrai
"inacessible mais tellement attirant.
Dans
les deux premiers ouvrages de Gérard Glameau, je
vois comme un besoin de retour sur soi et de se
rassurer en édifiant, à un moment charnière de
sa vie.
Sans
doute sera-t-il moins effarouché par cette
solitude et cette nudité inscrite en chacun de
nous et finalement trouver une fragilité
heureuse. Déjà çà et là on peut glaner des
éclats d'humour...
L'écriture
est rencontre, accomplissement: cela aide à
arraisonner cette inquiétude autour du sens de
la vie et de notre place éphémère dans la
fraternité qu'elle institue.