ARRIERE-SAISON de Gérard Glameau

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Fiche de présentation

  • Fiche de lecture
  • L'auteur: Gérard GLAMEAU
  • Commentaires
    • Jean-Pierre Majzer
    • Charles d'Estève
  • Extraits de l'ouvrage
  • Editeur: le Jarosset
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Caractéristiques du livre

Titre: ARRIERE-SAISON
Auteur: Gérard GLAMEAU
Editeur: Sol'Air (Nantes)
Format: 11X19cm
Nombre de pages: 120 pages
Parution: mai 2005
Prix: 12 euros
ISBN: 2-9525061-0-8






























































































Analyses et commentaires

- L'analyse de Jean-Pierre Majzer

Jean-Pierre Malzer, docteur en Langue et Littérature française, spécialité Poésie, a publié une thèse sur le poète Jean-Claude Renard dont il est aujourd'hui le spécialiste reconnu.

- Le commentaire de Charles d'Estève

Charles d'Estève, poète, bouilleur de mots, né en Languedoc en 1948, vit depuis 1990 en Vendée à l'affût de l'être, de la lumière et de l'instant. Il est devenu jongleur de mots dans les théâtres du vivant. Il a publié une quinzaine d'ouvrages dont plusieurs aux Editions Sol'Air.

 

Analyses et commentaires

- L'analyse de Jean-Pierre Majzer:

Histoire d'une rencontre et d'une préface. Entre Gérard Glameau et moi, il y eut d'abord un signe - un signe de ponctuation. Je me souviens de cet entretien téléphonique pour la "mise au point " d'un remarquable texte en prose intitulé "Fortunes de mer" évoquant la lente dérive des mots, leur capture quand ils " s'approchent, s'accrochent et s'agglutinent ", " beaucoup mourant sur l'heure " avant d'atteindre leur lecteur. Gérard Glameau, qui en était l'auteur, posait de manière originale l'inépuisable question de notre rapport au langage. C'était dans le cadre du Concours de poésie organisé par l'Arée, grâce à Michel et Françoise Fourage que je salue et que je remercie vivement : sans eux, la rencontre n'aurait pas eu lieu.

Est-il nécessaire de présenter un ouvrage qui se présente tout seul ? Dans sa préface de Fortunio, Théophile Gautier notait non sans humour :

" Il est bien convenu que les lecteurs (pluriel ambitieux) les passent avec soin, ce qui paraîtrait une raison valable de n'en pas écrire. "

J'ai accepté d'écrire quelques lignes parce que j'ai vu dans la proposition de Gérard un signe d'amitié et comme un besoin d'être rassuré. En effet, pris au sérieux, l'acte d'écrire est exigeant. D'ailleurs, l'écriture poétique moderne, qui rend compte d'une expérience toujours singulière, résonne le plus souvent comme un appel. Comme si elle ne cessait d'explorer les voies ouvertes par la proclamation de Hugo : " Insensé qui crois que je ne suis pas toi " et celle de Rimbaud, si souvent citée : " Je est un Autre " . Le poète ne peut pas rester seul. Il se confie, il convie dans l'attente d'un écho. Nous avons la chance de compter parmi ses premiers invités.

Le regard du poète et du peintre. Comme Joëlle Pérocheau - artiste peintre de talent auquel il prête ses mots - Gérard Glameau nous offre ses tableaux. Il varie les points de vue, cadre, et choisit ses couleurs :

"Arrière-Saison"

" Quand arrive l'automne et que l'onde pleure son bleu, la station ferme ses yeux et ça pour de longs mois. Volets clos rideaux tirés disent à tous les obstinés qu'il n'y a plus rien à voir et qu'il faut s'en aller. " (12).

 "Aurore rouge"

" Dès l'aube, le ciel déroule une Sardaigne suspendue à la Corse, et un peu plus loin voilà la Crête, toutes se pressent vers l'orient où s'annonce un grand feu. Dès les premières lueurs, le bleu de l'océan se strie de quelques rides et telle une flèche, la trace grise d'un avion déclenche un éclair rouge, brasier de l'affrontement. Lueur éphémère qui s'efface devant la grisaille d'après bataille. Fumées qui embrument, éclaboussent, aspergent et obligent aux abris. Des soldats fiers d'aller au combat, qui inévitablement reviennent en pleurant. " (37).

 Comment " [�] du jour qui point apprécier les couleurs ? " (81).

"Le bricoleur"

" Ce matin il habitait une maison jaune et ce soir, sous la baguette magique d'un pot de peinture, il entrera dans une maison blanche où les volets verts sont devenus bleus. Mais il dînera à la même table, dormira cette nuit dans le même lit à côté de la même femme. Un dépaysement apparent en quelque sorte. [�] " (69).

Parmi les rares couleurs du poète, le blanc l'emporte, probablement parce qu'il est la lumière dont "Le vieil arbre " étincelle - l'arbre de vie, l'arbre de la création auquel le poète s'identifie (11). " La praticienne ", elle aussi, a les " cheveux blancs " (74). Quant aux portraits, celui du " pilote de litres [�] qui ne regrette aucune bouteille " (78), celui de " la marchande de pain [qui] aime les poètes " (80), ou celui du " boulimique " (81) ce sont des peintures de caractères qui suscitent la réflexion et appellent à la sagesse.

Parmi les auteurs de poèmes en prose, nombreux sont ceux qui se sont référés aux arts graphiques, certains y trouvant leur source d'inspiration, comme Huysmans, d'autres préférant présenter ou accompagner des reproductions de tableaux. On peut penser à Michaux, à Ponge ou à Breton, qui méritait bien le bel hommage de Valéry : " C'est à vous de parler, jeune voyant des choses ". Mais, en tant que tel, le poème en prose n'est-il pas, parfois, une sorte d'équivalent verbal d'une composition plastique ? Une transposition d'art ? Théophile Gautier présente ses poèmes en soulignant que " chacun d'eux a été traité à la manière de petits paysages flamands ". Heredia, dans "Les Trophées", privilégie les formes fixes de la poésie versifiée (tel le sonnet) pour cadrer l'objet d'art. Char fut l'ami de Braque, Miro, Giacometti, Picasso. Il a préfacé des catalogues d'exposition comme celle de Picasso à Avignon en 1963.

 Rapprochements et résonances. Ces formes denses de Gérard Glameau (on en trouverait de comparables chez Breton qui parle de " l'extrême raccourci "), ne font-elles pas écho à celles de René Char qui, dans Feuillets d'Hypnos, note : " J'écris brièvement. Je ne puis guère m'absenter longtemps. " ? C'est à coups de marteau ("Le Marteau sans maître") que René Char prétend écrire et se construire, du moins au cours de sa période surréaliste. De la même manière, c'est " à petits coups de mots ", nous dit Gérard Glameau, que " le sculpteur burine la vie de l'autre, peu à peu lui donne forme, parfois avec bonheur celle que le modèle attend " ("Vision", 114). Monolithique, sa prose poétique ne dessine rien sur le blanc de la page. Ses tableaux ne sont pas des calligrammes. La matière verbale ne se modèle pas de l'extérieur : elle se travaille de l'intérieur pour donner forme et vie à ces " fragments de réel " qui construisent le monde ("Jeux de planches", 51). Ce sont "pierres de langue" apparemment semblables mais minutieusement travaillées, dont l'étincelle pareille à celle des silex éclaire des rencontres furtives mais décisives - autant d'images d'une réalité multiple dont l'unité nous échappe. Mais, chez Gérard Glameau, la recherche de l'esthétique épouse celle de l'éthique et échappe à la tentation de l'art pour l'art que redoutait Max Jacob dans sa Préface au Cornet à dé :

" Une page en prose n'est pas un poème en prose, quand bien même elle encadrerait deux ou trois trouvailles. [�]. A ce propos, je mets en garde les auteurs de poème en prose contre les pierres précieuses trop brillantes qui tirent l'�il aux dépens de l'ensemble. "

Gérard Glameau partage cette exigence. Son attention portée à l'humain, sa proximité avec la nature "travaillent" son écriture. Il m'a confié reprendre ses ébauches écrites à la main, cherchant l'expression juste. Il rejoint en cela les vrais ouvriers des mots confrontés au défi défini par Eluard dans "Les Sentiers et les Routes de la poésie" (1952) : " Il nous faut peu de mots pour exprimer l'essentiel, il nous faut tous les mots pour le rendre réel ".

 Des poèmes en prose musicaux et méditatifs. Comment définir la forme choisie par Gérard Glameau ? N'est-elle pas picturale et musicale à la fois ? Saint-John Perse prétendait écrire des " poèmes non versifiés " et ajoutait : " Je ne rime pas quand je ne veux pas rimer. " Qu'advient-il de la poésie quand elle renonce au " trompe-l'�il " qu'est le vers ? Il appartiendra toujours à l'auteur et au lecteur d'en décider. Toujours est-il que, dans ce recueil, nombreux sont les signes de poésie qui s'adressent à l'oreille :

" Ton regard s'est posé comme un archet sur mon âme, son lent glissement a fait vibrer mes cordes et peu à peu quelques notes ont surgi, plusieurs fois répétées. " (16).

" Sur la grève désertée, les goélands argentés attendent calmes et sereins du courroux marin la fin, pour laisser après la brume leurs empreintes de plumes et aller faire au loin leurs meilleurs des festins. " ("Arrière-saison", 12).

 Le poète module la taille des groupes syntaxiques et musicaux. Grâce au déploiement des images, aux allitérations et aux assonances, aux jeux de mots, il porte à son maximum la charge expressive de la parole. Ainsi commence le poème intitulé "La mère veilleuse" (71) : " Comme une mer, la mère veille sur son territoire, entoure de ses bras son archipel d'enfants. " Dans "La source"(18), " Sous le doigt, la paroi lisse glisse, tiède du soleil de midi. " Dans "La comète", " les ballons font des bonds " (21). Le rythme épouse le libre mouvement des êtres et des choses depuis leur surgissement jusqu'à leur impact sur la conscience et le corps tout entier. " Prendre ta main pour une danse arrêterait la musique. " (85), nous dit le poète dont les mots préférés sont le mot " voilà " et le mot " caresse ". L'un dévoile, l'autre effleure, suggère un rapprochement et un contact sans jamais forcer la main.

En définitive, ce recueil est une méditation, le fruit d'une expérience philosophique de la vie. Il nous dit l'urgence de vivre, d'aimer. Alors pourquoi l'avoir écrit si tard ? Sans doute fallait-il mûrir avant de produire, vivre avant d'écrire. "Arrière-Saison", qui promet d'autres saisons, n'est pas une conclusion : il est l'étape d'un cheminement, à "Contre-jour" (25), vers un " paradis blanc tiré du néant, illuminé comme une fête foraine". Le poète voit dans la gratuité une "une matière première dont on fait un commerce " (59). En quête de tendresse, de " vérité ", et de bonheur, il nous ouvre sa porte et son coeur. A nous de lui dire " merci ".

 

- Le commentaire de Charles d'Estève:

J'ai lu, deviné, en ses "penchants", cette arrière-saison où se trâme dans ce qui n'est déjà plus , la vie à venir - sachant que sa fin inéluctable rend chaque instant précieux, avec ce sentiment plus ou moins fondé que cela aurait pu jusque là mieux ou autrement.

On va de moments de poésie en réflexion, d'effusion contenue en désarroi maitrisé à l'affût de soi, de l'autre pour une vie qui n'aurait pas besoin de laque et autres adjuvants, qui serait intense simplement. Pas si simple!

Gérard Glameau donne vie, d'un texte à l'autre, à des personnages, des fragments reconnaissables de nous-mêmes et ce sont autant d eportraits, de lieux, d'actes de la vie ordinaire qui fusent. d'une page à l'autre ce sont autant d'îles que, quelque peu inquiet, il demande à notre regrad d erassembler, de partager avec lui. Et il y a, dans cette complicité, comme le besoin d'un lien affectif avec le lecteur.

On imagine - et ce serait bien - qu'il fasse se rencontrer en une "nouvelle" ces êtres pris dans la galce de leur solitude, de leurs chimères, et dans la chair de leur unvivers familier. Ils déclinent déjà si bien les circonstances, les aléas de la vie, entre interrogation et faux-pas, esquissant des "notes de vrai "inacessible mais tellement attirant.

Dans les deux premiers ouvrages de Gérard Glameau, je vois comme un besoin de retour sur soi et de se rassurer en édifiant, à un moment charnière de sa vie.

Sans doute sera-t-il moins effarouché par cette solitude et cette nudité inscrite en chacun de nous et finalement trouver une fragilité heureuse. Déjà çà et là on peut glaner des éclats d'humour...

L'écriture est rencontre, accomplissement: cela aide à arraisonner cette inquiétude autour du sens de la vie et de notre place éphémère dans la fraternité qu'elle institue.

 

Francité