GÉRARD GLAMEAU

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Caractéristiques du livre

Titre: TRAINS DE VIE
Auteur: Gérard GLAMEAU
Editeur: Geste
Format: 16,5X24cm
Nombre de pages: 330 pages
Parution: mars 2010
Prix: 22 euros
ISBN: 978-2-84561-600-4 / LUP 802

L'île.
Extrait de "Trois femmes et une récompense"

A l'heure de la retraite, j'ai trouvé mon Vendée-Globe. Vous savez, quand le temps imposé se transforme en temps exposé, commence alors une période d'inexistence, de transparence même, où se mijotent les conditions d'une nouvelle existence. Moment de fragilité propice au développement de toutes sortes de maladies. Et c'est comme cela que j'ai attrapé un virus, c'est comme ça qu'on nomme une passion, quoi ?
Pour bien comprendre, il faut dire que tous les étés, ma femme et moi, nous passons nos vacances sur notre petite plage tranquille des Rouillères. Et depuis autant d'étés, j'observe au loin sur l'horizon, cette espèce de frange de terre accrochée au continent par son pont, comme une boucle à son oreille. Cela fait donc un paquet d'années que je gamberge sur cette Ile de Ré, qui nous fait face, qui nous nargue presque, bien à l'abri derrière son Pertuis Breton. Et si je n'y suis encore jamais allé, le long détour à faire pour l'atteindre y est moins pour quelque chose que la crainte de briser par le contact ce rêve que j'entretiens avec elle depuis plus de vingt ans.
Cela ne m'empêche pas d'en connaître parfaitement - à distance - la géographie. Le chapelet de villes côtières, les marais du centre si plats que, vue du continent, l'île parait coupée en deux, la forêt de résineux, qui en occupe tout l'ouest, sont en effet bien visibles de notre plage à marée basse, quand la météo est favorable.
C'est la nuit que l'île prend toute sa splendeur avec sa guirlande de points lumineux qui se reflètent au ras de l'eau. Comme si les étoiles se rassemblaient mystérieusement ici pour un défilé de lampions. Et le 14 juillet, c'est le bouquet. Se répondant par ci, par là, les feux d'artifice interprètent une magnifique symphonie de couleurs jouée à plusieurs instruments. Christophe Colomb avait son Amérique, moi, j'ai mon Ile de Ré, un territoire encore vierge tout au plus imaginé.
C'est ici, sur cette plage des Rouillères, que l'idée a germé. Je savais bien que cette terre à la fois si proche et si lointaine, il me faudrait bien un jour en partir à la conquête. Je ne pouvais indéfiniment continuer à m'user les yeux dessus. Mais prendre la voiture et faire le grand tour par la Rochelle et le Pont, ça, non ! Pas question de l'accoster comme un simple touriste, amené là par le hasard d'un courant de mode. C'est à l'abordage comme un corsaire qu'il me fallait l'accoster.
Cette situation de refus menaçait de durer quand, un jour, poussé par je ne sais quelle petite force intérieure, je me suis mis au défi d'atteindre la première bouée en nageant. Sans réfléchir, j'affrontai les grands fonds, moi qui, d'habitude, me cantonnais sagement aux endroits où l'on a pied. Au bout de quelques minutes, à ma grande surprise, je touchai au but. Et là, accroché à ma bouée, j'eus l'immense plaisir de constater que l'île, par ce simple mouvement, s'était rapprochée d'une bonne cinquantaine de mètres. A la deuxième bouée, il me parut évident que les détails ne pourraient être qu'encore mieux visibles.
Peu à peu, ce qui n'était, au départ, qu'une idée, est devenu une obsession et aujourd'hui c'est mon grand projet. Ce sera mon Everest, ma traversée du désert, mon chemin de Saint Jacques, je vais relier le continent à l'île de Ré par mes propres moyens, à la nage. C'est décidé.
Je sais, le Pertuis Breton n'est pas la Manche, tout au plus une dizaine de kilomètres, mais tout de même, personne ne l'a encore traversé à la nage. Et puis, à se choisir un Graal inaccessible, on risque tout simplement d'abandonner au milieu du gué. Ce sera tout de même un bel exploit.
De plus, je ne me laisse pas aller à la facilité. J'aurais pu choisir l'itinéraire le plus court et partir de la Rochelle. Non, je partirai d'ici, de ma bonne vieille plage des Rouillères. Bien sûr, j'inviterai la presse, mais pas pour la gloire, juste pour laisser une petite trace et rendre officiel mon exploit. C'est avec moi-même que je veux me battre.
Depuis, le projet m'obsède et je me prépare dans la fébrilité. Rien de ce qui concerne l'île ne m'est aujourd'hui inconnu. J'ai dévoré le numéro spécial d' " Iles magazine " consacré à Ré. J'ai emprunté à la médiathèque tous les bouquins sur le sujet. Au mur, face à mon bureau, j'ai affiché la carte des lieux au 25000ème et j'y note toutes les informations que je peux glaner ici ou là.
Je travaille particulièrement ma connaissance de la côte nord, là où je dois prendre pied. J'espère pouvoir atteindre le petit village de Loix, idéalement placé en poste avancé sur sa presqu'île. Mais les courants pourraient bien m'entraîner un peu de côté et m'obliger à un effort supplémentaire. Je connais aujourd'hui tellement le profil de l'île que j'ai presque l'impression d'y avoir déjà vécu : le pénitencier de Saint Martin, les pistes cyclables, la Réserve d'Oiseaux de l'Ileau des Niges, le phare des Baleines, Ars et son clocher en forme d'amer, le Bois de Trousse Chemise, tout m'est familier. Et je ne passe pas une journée sans me pencher longuement sur la carte pour étudier un point de détail qui aurait pu m'échapper.
Mais ce qui compte surtout, c'est la préparation physique. Je ne vous cacherai pas la masse d'effort que cela demande. D'abord adapter son alimentation par un régime strict, sans alcool. Privilégier les aliments riches en sucres lents, qui constituent le carburant de l'effort. Arrêter le tabac, cela va de soi.
Ensuite revoir les fondamentaux. Indispensable, quand on a appris à nager en barbotant dans un étang du pays. S'entraîner à rythmer sa respiration avec le mouvement des bras, maîtriser parfaitement la technique du crawl, la plus efficace pour cet effort de longue durée. Mais savoir aussi pratiquer à la perfection le dos pour reposer de temps en temps les muscles endoloris.
Enfin l'entraînement. Aligner dans un couloir de piscine les longueurs de bassin trois à quatre fois par semaine. S'habituer progressivement à la combinaison isotherme - plus de 300€ à Excel-Sports. S'essayer en eau salée dans la lagune de la Belle Henriette, puis dans la baie des Rouillères pour se familiariser avec la houle. Réaliser la traversée de l'embouchure du Lay à l'Aiguillon, puis celle de la Sèvre Niortaise entre la digue et Esnandes, rien ne vaut ces petits challenges pour se préparer mentalement. Vous voyez ! Le programme que je m'applique n'a rien d'une partie de plaisir.
Et je n'ai pas oublié l'assistance. Mon copain Marcel, vous savez, le marin pêcheur de l'Aiguillon, il s'est enthousiasmé dès que je lui ai parlé de mon projet. Je le revois encore parler fort avec de grands gestes devant moi, c'était au comptoir du Bar de la Marine. Depuis le début, il m'assiste dans chacune de mes démarches et ses connaissances me sont très précieuses. Le grand jour, il sera là sur son bateau, à quelques mètres derrière moi pour m'encourager. Et parer, s'il le faut, à toute éventualité.
Aujourd'hui, les gars, je me sens prêt, l'exploit est imminent. Chaque jour qui passe rapproche un peu plus l'île de moi et j'ai désormais comme l'impression de presque la toucher quand j'avance le bras.
Et je vais vous faire une confidence. Dès la semaine prochaine je me mets à l'eau. Je vous le jure ! Aussi vrai que je suis assis devant vous à ce comptoir. Et si vous ne me croyez pas, vous pouvez me suivre à la maison et je vous montrerai. Je vous montrerai le numéro du téléphone de la piscine, posé bien en évidence sur mon bureau. Et là, vous serez bien obligés d'admettre que je n'ai plus qu'à décrocher le combiné pour m'inscrire aux leçons de natation.
Et puis je vous montrerai, dans le catalogue, la photo de la combinaison isotherme à 300 euros. Et puis la carte IGN au mur de mon bureau.
Et puis, comme vous serez là, on goûtera quelques-unes des petites bières que j'ai déjà mises de côté pour fêter mon exploit.
Vous voyez bien que j'ai tout prévu. Peux-tu me redonner du feu, Lolo ? Je parle, je parle et ma gitane s'est encore éteinte.